Le 3 mars 1999 Pour diffusion immédiate
Réponse du CCDS aux récents développements des programmes de
transition de l'assistance sociale au marché du travail
Introduction
À la suite des vastes réductions du soutien fédéral aux programmes d'assistance sociale dans les années 1990 et des pressions exercées sur les gouvernements provinciaux et locaux pour restreindre les dépenses et réduire les déficits, les programmes d'assistance sociale provinciaux et territoriaux ont radicalement changé d'orientation au cours des dernières années. De plus en plus, ils se sont tous axés à faire sortir les prestataires du recours à l'assistance sociale pour passer à la main d'oeuvre. Dans plusieurs provinces, il y a des sanctions pour les prestataires qui refusent de chercher du travail ou de suivre une formation.
Le gouvernement fédéral encourage aussi le développement des programmes de transition de l'assistance sociale au travail par le biais de la Prestation nationale pour enfants (PNE), qui offre des prestations aux familles à faible revenu, avec l'entente de principe que les épargnes à l'assistance sociale qui en résulteront seront dépensées dans des programmes visant à réduire la pauvreté des enfants et à «inciter à faire partie de la main d'oeuvre» . Chaque province a maintenant établi des programmes de réinvestissement de la PNE, qui en général offre des prestations de soins de santé et de garde ou des suppléments du revenu aux familles pauvres avec enfants, surtout à celles qui travaillent. Il est trop tôt pour évaluer combien de services ou soutiens supplémentaires recevront les enfants dont les parents sont à l'assistance sociale, à la suite des initiatives de la PNE.
Bien que la tendance des années 1990 aux programmes de transition de l'assistance sociale au marché du travail ait l'air nouvelle, de bien des façons elle est réminiscente de la Grande Dépression des années 1930, lorsque les programmes d'assistance sociale comprenaient souvent une composante de travail obligatoire. À mesure que l'économie canadienne redémarrait et que le chômage baissait pendant et après la Deuxième Guerre mondiale, les programmes d'assistance sociale ont commencé à être ciblés vers la population «restante», qui pour diverses raisons n'était pas considérée apte à avoir un travail rémunéré. La réapparition des programmes de transition de l'assistance sociale au marché du travail à une période où l'économie est encore une fois incapable de fournir le plein emploi soulève une question troublante – les exigences plus strictes des programmes de transition de l'assistance sociale vont-ils forcer les gens à plonger encore plus profondément dans la pauvreté s'ils quittent l'assistance sociale, mais sont incapables de trouver un emploi rémunéré stable?
Pour mieux analyser ce virage d'orientation, le CCDS a entrepris, à l'aide d'un financement de DRHC, une enquête d'envergure sur les programmes provinciaux et territoriaux de transition de l'assistance sociale au marché du travail au Canada, qui ont abouti à la parution aujourd'hui de deux documents : Welfare-to-Work Programs: A National Inventory (section sur le Québec en français) et Programmes de transition de l'assistance sociale au marché du travail : Document d'étude, par Carolyne Gorlick et Guy Brethour.
Ces publications fournissent une description détaillée et utile des programmes, mais elles soulèvent aussi quelques inquiétudes au CCDS :
- Les familles monoparentales, l'un des plus grands groupes de prestataires à l'assistance, sont considérées prêtes à l'emploi quand leurs enfants sont beaucoup plus jeunes que dans le passé, en allant de six mois en Alberta à sept ans dans d'autres provinces. Auparavant, les parents seuls n'étaient pas jugés disponibles à l'emploi jusqu'à ce que les enfants aient fini leur scolarité. Élever des enfants était en soi considéré une forme de travail qui avait de la valeur.
- Même si la plupart des provinces font certaines provisions de subventions de frais de garde pour les prestataires de l'assistance sociale qui cherchent un emploi ou suivent une formation, les montants sont faibles par rapport aux coûts réels. Le Conseil se préoccupe aussi que d'autres soutiens nécessaires à la transition à l'emploi sont insuffisants.
- Le soutien de l'assistance sociale augmente pour la formation d'emploi et les programmes de placement. Cependant les restrictions de dépenses font que les programmes sont axés sur la voie la plus rapide vers l'emploi. Les programmes d'éducation et de formation à plus long terme, comme les cours de collèges ou d'université, ne sont souvent pas admissibles. Le choix d'options de formation pour la plupart des prestataires de l'assistance sociale se rétrécit, sauf dans les provinces de l'Atlantique et les territoires.
- Les administrateurs dans plusieurs provinces signalent un manque continuel de coordination avec les programmes pour les prestataires de l'assurance-emploi, qui ont en général un plus grand éventail d'options que ceux de l'assistance sociale.
- Le remplacement du Régime d'assistance publique du Canada à coûts partagés – qui prévoyait certaines normes nationales pour guider l'assistance sociale des provinces – par le Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux (TCSPS) – avec un financement global mais aucune norme – a entraîné l'accroissement de la divergence des programmes offerts par chaque province. On peut le constater dans la variation des niveaux de services, de soutien et de prestations dans le cadre des programmes de transition de l'assistance sociale au marché du travail. Le Conseil s'inquiète que cela pourra conduire à des inégalités accrues entre provinces en ce qui concerne le soutien de l'assistance sociale.
- L'évaluation des programmes de transition de l'assistance sociale au marché du travail se base habituellement sur une analyse en fonction des coûts qui n'évalue que les épargnes réalisées par les provinces. Il n'y a qu'une évaluation minime des avantages que les prestataires et leur famille peuvent tirer du programme, ou des coûts et des problèmes que cela leur cause.
- Plusieurs des programmes de transition de l'assistance sociale au marché du travail ont des principes sous-jacents explicites, dans la lignée de ceux développés en Alberta :
- Les gens veulent travailler.
- Tout emploi est un bon emploi.
- Les gens à l'assistance sociale ne devraient pas s'en sortir mieux que les autres dans la province.
Ces programmes punissent les prestataires de l'assistance sociale qui ne cherchent pas activement ou ne trouvent pas d'emploi, en réduisant leurs prestations. Alors que certaines provinces ont mis en place des projets pilotes qui offrent de la formation et du soutien pour la recherche d'emploi, d'autres comptent nettement plus sur les individus pour chercher d'eux-mêmes un emploi ou de la formation. Dans la plupart des juridictions, le nombre de personnes à l'assistance sociale inscrites pour trouver un emploi dépasse de loin le nombre d'emplois que les agences ont été en mesure de trouver.
- Les paiements de l'assistance sociale dans toutes les provinces mettent les prestataires bien au-dessous des seuils de faible revenu (SFR) de Statistique Canada. Les emplois au salaire minimum laissent aussi les salariés bien au-dessous des SFR, et les taux de chômage restent élevés dans plusieurs régions du pays.
Recommandations
L'écart de revenu entre riches et pauvres au Canada s'est agrandi dans les dernières années, comme souligné dans le calcul de l'Indicateur de développement humain des Nations Unies de 1998, qui a classé le Canada en 10e place parmi 17 pays industrialisés pour son niveau de disparité du revenu. Lorsque la disparité du revenu augmente, les inquiétudes montent à propos de la cohésion sociale et du niveau de vie en général au Canada. Le CCDS se préoccupe que le Canada, en essayant de forcer les gens à quitter l'assistance sociale et à accepter n'importe quel emploi à bas salaire, risque en fait de ne plus assumer ses engagements aux Nations Unies dictant de procurer de façon adéquate nourriture, logement, éducation et autres besoins essentiels de base.
Étant donné ces résultats et ces préoccupations, le Conseil canadien de développement social a adopté les recommandations suivantes en ce qui a trait aux programmes de transition de l'assistance sociale au marché du travail :
Objectifs
- Les programmes d'assistance sociale devraient être conçus pour faire en sorte que les prestataires soient en mesure de participer à la société. Augmenter la productivité économique des gens ne devrait pas être le but unique de ces programmes. Ils devraient aborder des objectifs sociaux beaucoup plus vastes, y compris le soutien à l'épanouissement de l'enfant et de la famille.
- Les programmes de transition de l'assistance sociale au marché du travail au Canada devraient être fondés sur une approche de développement humain et social – c'est-à-dire que l'objectif final de ces programmes devrait être de permettre aux personnes de devenir autonomes à long terme, et de consolider le tissu social et économique des communautés.
- Le but final de chaque programme d'assistance sociale devrait être de réduire la pauvreté, et non pas seulement de réduire la longueur de temps que les gens dépendent de l'assistance sociale. Les programmes de transition de l'assistance sociale au marché du travail devraient garantir qu'aucun prestataire de l'assistance sociale ne finisse encore plus pauvre en conséquence des exigences du programme.
- Les programmes devraient être conçus par les gouvernements, en partenariat avec le secteur privé local et les organismes bénévoles, dans le but de soutenir l'élargissement des chances d'emploi. Ils ne devraient pas servir à encourager les employeurs à remplacer leur main d'oeuvre actuelle par des prestataires de l'assistance sociale, dont les salaires sont plus bas ou subventionnés par le gouvernement.
Principes
Tous les programmes de transition de l'assistance sociale au marché du travail devraient respecter les principes suivants :
- Équité – Tous les Canadiens et les Canadiennes devraient avoir un accès équitable à des programmes conçus pour leur permettre de devenir autonomes, quel que soit leur lieu de résidence, leur durée sans emploi, leur situation familiale ou leur aptitude personnelle.
- Participation volontaire – La composante de travail ou de formation des programmes d'assistance sociale devrait être volontaire. Le droit des citoyens Canadiens de choisir leur propre emploi devrait être un principe inhérent à tout programme de transition de l'assistance sociale au marché du travail. Les programmes d'assistance sociale devraient aider les gens et les encourager à participer à l'économie. Ils ne devraient pas être conçus pour les punir d'être sans emploi.
- Promotion de la dignité et de l'indépendance – Les programmes d'assistance sociale devraient viser à protéger la dignité et l'indépendance des prestataires. Il faudrait mener une révision soigneuse des politiques et des procédures pour assurer l'adhésion à ces principes.
Procédures
- Tous les prestataires de l'assistance sociale devraient avoir le droit de faire appel aux décisions les concernant, auprès d'un organe indépendant de l'administration du programme.
- Tous les programmes d'assistance sociale devraient comporter des mesures d'évaluation à court et à long terme pour juger de leurs répercussions sur les prestataires et sur leur communauté. Si les programmes ne font simplement que réduire le nombre de personnes à l'assistance, sans augmenter le nombre qui ont un emploi, on devrait les considérer comme un échec, pas une réussite.
Financement
- Le gouvernement fédéral et les provinces devraient assumer la principale responsabilité du financement des programmes d'assistance sociale, et la conception de chaque programme devrait être développée en partenariat avec les gouvernements à l'échelle locale et les groupes communautaires afin de répondre aux besoins économiques et sociaux locaux.
- Les gouvernements doivent considérer les programmes de transition de l'assistance sociale au marché du travail comme des investissements à long terme destinés à augmenter la capacité des gens de contribuer à la société. Les programmes devraient reconnaître tant le besoin de développement du capital humain (par ex. le développement de l'employabilité et des compétences de travail pour les assistés sociaux) que le besoin de ressources sociales (par ex. la garde d'enfants, les transports, la disponibilité d'emplois). Tandis que ces programmes risquent de faire augmenter les dépenses d'assistance sociale à court terme, ils sont plus susceptibles de contribuer à la cohésion sociale et aux gains à long terme pour la caisse publique, en faisant passer de façon permanente dans la main d'oeuvre les personnes à l'assistance sociale.
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Le Conseil canadien de développement social
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